Au tout début du mois de février, le jury du Salon du Roman Historique de Levallois 2020 s’est réuni pour débattre des deux derniers romans de la sélection : deux livres aux ambiances et époques bien différentes ont ainsi été l’objet de discussions, analyses, interrogations, critiques mais aussi éloges ! Mais cette rencontre a aussi été l’occasion de commencer à affûter ses arguments pour la séance finale et décisive, celle du vote qui aura lieu juste avant le Salon…
Ils sont tous à l’heure, bien installés avec leurs livres et leurs notes devant eux. Construites au fil des séances, des affinités se sont créées, mais on peut surtout remarquer l’atmosphère générale de détente et de complicité qui règne autour de la table et se traduit par des rires et des plaisanteries. Mais dès que le débat commence avec le premier livre, le sérieux, la conscience de l’importance de la mission et le professionnalisme de nos jurés reprennent leurs droits.
Pouvoir d’attraction
– J’ai découvert un auteur, une écriture et un message avec ce livre.
D’entrée de jeu, le ton est donné : « une vraie révélation » pour cette jurée qui bien qu’elle ait d’abord eu un peu de mal à y entrer, le temps de se familiariser avec la manière d’écrire, est tout à fait entrée dans l’histoire.
« J’en suis sortie plus riche qu’avant ». « J’ai eu de mal à en sortir » ou encore « j’avais envie d’y retourner ».
L’emploi récurrent de ces verbes de mouvement semble montrer combien l’univers du livre est prégnant, constituant presque un lieu clos, une parenthèse d’Histoire dans laquelle on pénètre, s’installe, ressort et quitte le présent avant d’y revenir, attiré et séduit. Ce qu’un des jurés exprime en parlant du « pouvoir d’attraction de ce roman » avant d’ajouter :
C’est un des livres où il y a le plus d’émotions à la lecture.
Plusieurs jurés confirment en effet que malgré un sujet rébarbatif et un plaisir de lecture sur lequel ils n’auraient pas parié, le résultat est là : un livre passionnant tant du point de vue de l’histoire racontée que du style.
C’est un livre que je mets en haut du podium !
Parlons d’abord du récit : deux temporalités qui se succèdent, avec une première partie qui est presque une enquête et une deuxième plus dense, plus difficile. C’est un livre qui demande de la concentration, « on ne peut pas le lire dans le métro » (notez la référence au moyen de transport qui reviendra plus tard comme un critère déterminant). Sa densité est ce qui fait sa difficulté mais cela semble vite oublié grâce à la composition et l’écriture. Du côté de la construction, « c’est très fort » entend-on, car le personnage historique central « n’est pas là », « on ne le voit exister qu’en filigrane dans tout le récit ». La dimension artistique qui s’entremêle à l’historique apporte un plus à la composition en deux temps. « Tous les autres personnages sont très bien décrits, très fouillés », notamment un peintre qui a séduit beaucoup de jurés, une coquette maîtresse à la vie trop courte, un moine acharné et tenace…
Du côté de l’écriture, tout le monde, ou presque, s’accorde sur son style impeccable, son classicisme, son côté « positivement suranné » qui donne parfois « l’impression de lire un grimoire », sa fluidité, sa poésie, sa finesse, mais aussi sa densité, ce qui pour certains constitue malgré tout un frein à la lecture.
Chute et fin
Ainsi ne croyez pas que ce livre ait été apprécié par tout le monde. En effet, une jurée avoue avoir été complètement imperméable et n’avoir même pris aucun plaisir à la lecture : trop de personnages, une époque mal-aimée, un style rebutant… Un autre n’a été ni « capté » ni « transcendé », le livre lui étant « un peu tombé des mains ». Et pour cet autre encore, la lecture de ce livre a même été une déception ! Et tout lecteur sait que les déceptions littéraires sont douces-amères… Ainsi ce juré s’en veut d’avoir été « trop bête de croire qu’il y avait une intrigue ». De plus, pour lui, « ce livre n’a pas de chute ». Et sans chute, cela ne peut en aucun cas être un roman. « C’est un documentaire très bien écrit ». Sic.
Et ce même juré de s’interroger : « pourquoi écrire un roman s’il n’est pas bâti ? » Sous-entendu : s’il n’a pas de dénouement ni de véritable final ?
– Mais pas du tout, tout ce qu’on peut regretter est qu’à la fin, les méchants ne soient pas punis !
D’autres jurés ne sont pas non plus d’accord parce que, d’une part, « le roman est bien construit », et d’autre part, que la fin de l’histoire racontée nous est à ce jour bien connue, puisqu’elle « figure dans tous les manuels d’histoire ».
Mais une jurée rebondit sur cette impression d’inachèvement et de frustration : si elle a apprécié la chronique judiciaire et la volonté de faire revivre « la mémoire oubliée », elle aussi a été gênée par la fin, d’autant plus que les dernières lignes sont consacrées à des personnages secondaires. Si bien que quand on le referme, on se dit que « c’est finalement un roman très fourni, très concentré mais où il manque quelque chose ».
– On est à la fois dans le procès et jamais complètement dedans, ajoute-t-elle, revenant ainsi sur cette notion d’intérieur et d’univers clos propre à ce roman.
À portée d’enfant
Le second livre de la soirée ne soulève pas l’enthousiasme général. Pour la plupart, on y apprend rien ou trop peu: « je connais bien cette période et j’en attendais beaucoup ». Quant à ceux qui connaissaient mal les détails de cette partie de l’Histoire de France, ils sont restés sur leur faim, même si d’autres trouvent que c’est malgré tout « une introduction un peu différente » à ce moment troublé de l’Histoire. Mais beaucoup disent ne pas avoir été « embarqués », ni avoir ressenti « l’émotion du petit garçon dans ce contexte si particulier ».
D’autres sont même plus sévères, parlant d’une succession d’anecdotes et d’un manque général de profondeur. Selon la plupart des jurés, cette impression de superficialité est due à une construction morcelée, un découpage en chapitres très courts, « trop courts », ainsi qu’à une « chronologie décousue », une « composition catastrophique », un « déroulé sans logique » et un « contexte pas clair »…
– C’est tronçonné.
D’autant plus que les chapitres titrés de façon narrative, qui rappellent un peu les contes à l’ancienne, « racontent tout ». Si un juré fait alors remarquer que c’est justement comme ça que l’on écrivait à l’époque, cela ne suffit pas à compenser l’effet négatif de cette architecture littéraire.
– On dirait Friends (Ndlr : la célèbre série des années 90), ça a un petit côté moderne qui dessert le roman.
Et à en croire certains, cela lui nuit même carrément puisque ces chapitres « flashs » empêchent toute profondeur du propos. « C’est une succession de « scénettes » à lire dans le métro » (critère qui semble d’importance ce soir, aussi amis auteurs, si vous lisez ces lignes, pensez bien au contexte de lecture de votre livre lorsque vous l’écrivez !)
On a envie que ça aille plus loin mais il n’y a rien derrière.
Malgré tout, d’autres y voient un aspect pratique. « Ça avance bien ». « On le lit avec plaisir même si ce n’est pas la grande apothéose ». On peut même « le lire au hasard en piochant dans les chapitres ». Point positif : « cela donne envie de le relire » mais cette jurée conclut :
– C’est à portée d’enfant.
– Et si justement c’était ça le propos du roman ? s’interroge alors un juré. On est à niveau d’enfant : on a un regard d’enfant sur l’époque.
Ainsi, quelques rares jurés ont été sensibles à l’atmosphère, à l’évolution du personnage et à la façon dont l’auteur a su faire ressentir la solitude de l’enfant. À ceux qui objectent que cela manque d’analyse et que l’on ne sent pas suffisamment le chaos et le tumulte de la période, les partisans de ce roman répondent que ce n’était peut-être pas l’intention de l’écrivain.
Et la discussion se termine avec cette interrogation :
Mais qu’est ce que l’auteur a voulu écrire ?
Une question à lui poser dimanche 1er mars lors du 9ème Salon du Roman Historique de Levallois !
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