Focus sur une autrice : Joy Sorman

6 Mai

Née le 28 décembre 1973 à Paris, Joy Sorman se consacre d’abord à l’enseignement de la philosophie avant de se diriger vers l’écriture. En 2005, elle publie son premier roman Boys, boys, boys, manifeste pour un « féminisme viril » qui lui vaut le prix de Flore. Elle intègre la même année le collectif Inculte (nouvelle fenêtre) qui rassemble écrivains, traducteurs et philosophes et participe activement à la revue du même nom, ainsi qu’à la fiction collective Une chic fille (2008). Elle est également à l’occasion chroniqueuse de télévision et animatrice radio pour Paris Première, Canal+, France Inter ou Mediapart.

Joy Sorman en 2020 © Pascal Ito / Flammarion

Par son goût de l’écriture en immersion, du récit in situ, Joy Sorman trace une voie singulière, avec des romans hybrides, très documentés, mêlant fiction littéraire et sciences humaines.

Elle livre successivement trois récits qui examinent les façons d’habiter la ville : Gros œuvre (2009), L’Inhabitable (2010) et Paris Gare du Nord (2011). Dans Comme une bête (2013 – prix François-Mauriac de l’Académie française), elle explore l’univers de la boucherie et le lien entre l’homme et les bêtes, avant de se glisser, l’année suivante, dans La peau de l’ours, pour sonder, sous la forme d’un conte philosophique, la frontière entre humanité et bestialité.

L’œuvre de Joy Sorman est ainsi traversée par l’exploration des questions liées au corps, à l’identité, à l’altérité. Revenons plus en détails sur trois de ses romans particulièrement représentatifs de son travail.

Sciences de la vie (nouvelle fenêtre)

Le personnage principal du roman, Ninon Moise, descend d’une longue lignée où chaque première fille d’une génération est atteinte d’un mystérieux mal. Sa mère, Esther, elle-même atteinte d’une forme de dégénérescence oculaire qui ne lui permet de voir qu’en noir et blanc, s’emploie à narrer à sa fille depuis toujours cette histoire familiale peu commune. Ninon, à 17 ans, semble épargnée, jusqu’au jour où elle se réveille avec d’atroces douleurs dans les bras dont l’épiderme ne supporte plus aucun contact. Résolue à rompre la malédiction familiale et à guérir, Ninon se lance alors dans un long périple médical, de médecins en hôpitaux, en passant par les guérisseurs et les marabouts pour tenter de trouver un remède à son mal.

À travers une mystérieuse maladie de peau, Joy Sorman ausculte ici le corps comme lieu de l’intime, du familier, mais aussi du surgissement de l’étrangeté. Elle propose la vision d’une douloureuse métamorphose : faut-il que Ninon souffre dans sa chair, dans sa peau, pour prendre de l’épaisseur, devenir adulte ? Au-delà de cette allégorie, la romancière questionne de manière pertinente notre rapport au corps, à la douleur, et, plus largement, à la sphère médicale.

À la folie (nouvelle fenêtre)

À la folieégalement disponible en livre à télécharger (nouvelle fenêtre) – prend la forme d’un reportage en immersion dans lequel Joy Sorman garde ses distances avec pudeur même si l’on ressent son attachement aux résidents, aux soignants et à tous ceux qui travaillent au Pavillon 4B, une unité psychiatrique « quelque part en France ». Tout entier consacré à ce qu’on appelle à présent « la maladie mentale », ce récit documentaire exclut d’autant moins la fiction que celle-ci est à l’œuvre au cœur même de la folie : Franck, qui réveille quelquefois le loup-garou blotti en lui ou rêve de s’enfuir sur le dos d’un orang-outan, Maria, la sorcière, Fantômette apparue un soir dans le pavillon 4B sans qu’on sache comment ni pourquoi, Youcef, le soldat inconnu… Tous connaissent le pouvoir des images et des mots : leurs délires leur permettent de rester en vie face à l’excès de réel qui les assaille.

Joy Sorman évite ici rigoureusement le voyeurisme d’une galerie de portraits burlesques ou pathétiques et déploie toute sa maîtrise de l’art romanesque. Cet état des lieux sidérant de la psychiatrie française, où la puissance de l’écriture se met au service du reportage pour en décupler la portée, alerte et émeut tout à la fois. En revenant sur son histoire, des asiles à la psychiatrie ouverte, en passant par l’apparition des neuroleptiques, elle interroge la nature même de la folie mais pointe aussi la dimension politique de la gestion de la santé publique.

Le témoin (nouvelle fenêtre)

Bart, le « témoin » du livre, est un homme dont on ne saura que peu de choses. Un être anonyme, passe-partout, inspiré de Bartleby, personnage éponyme du roman d’Herman Melville – disponible en version numérique à La Médiathèque (nouvelle fenêtre) – qui décide un jour de rompre avec la vie qu’il menait jusque-là pour s’installer clandestinement dans le palais de justice de Paris. Le jour, il arpente les différentes salles d’audience et la nuit, il dort quelques heures, caché dans un faux plafond. Le lecteur, à travers les yeux de Bart, assiste à divers procès, des comparutions immédiates aux procès d’assises.

Dans ce défilé de cas judiciaires saisis sur le vif – les scènes décrites sont issues des procès auxquels la romancière a elle-même assisté – où victimes, accusé.es, avocat.es et juges prennent la parole à tour de rôle, Joyce Sorman décrit le “petit peuple” d’aujourd’hui, les conflits de classe à l’œuvre dans la mécanique implacable d’un tribunal, l’arrogance des un.es et l’égarement des autres. Elle questionne le monde judiciaire en pointant les dégâts causés par une accumulation de réformes qui n’ont fait que dégrader un système déjà en souffrance depuis de trop longues années. Le témoinégalement disponible en livre à télécharger (nouvelle fenêtre) – est ainsi une fiction au procédé littéraire bien choisi, qui se révèle passionnante par son aspect documentaire, un texte engagé qui dénonce la brutalité sociale à l’œuvre dans cette fabrique de la justice.

Et si nous lisions des romans d’amour sans le savoir ?

29 Avr

Il est étrange de constater que quand on pose la question « Quel roman d’amour as-tu aimé ? », on obtient des réponses contrastées dont la plus fréquente est « Je ne lis pas de romans d’amour… » Comme si lire un roman d’amour restait une lecture coupable, ou que sous cette étiquette, ne se trouvaient que romans à l’eau de rose, de gare ou des romances sexy, bref une littérature qui serait a priori indigne d’une publication dans la Pléiade. Ce serait oublier tous ces classiques que nous avons lus et étudiés, ou ces romans contemporains plébiscités et primés : soit des fictions dans lesquelles des personnages qui nous ressemblent vivent et expérimentent toute une gamme de sentiments, passions et émotions, exactement comme dans la vie. Alors peut-être faut-il accepter que dans chaque roman, il y a un amour qui sommeille… et que oui, nous lisons des romans d’amour.

Alors si vous ne l’avez pas encore découvert, c’est le moment de vous jeter dans les bras de Veiller sur elle de Jean-Andréa (nouvelle fenêtre), Prix Goncourt 2023 :  » un roman d’amour aux heures sombres de l’Italie fasciste, chouchou des prix littéraires 2023″ selon un article de Francetvinfo du 06/11/2023 (nouvelle fenêtre).

Ce roman d’amour nous plonge dans une atmosphère proche des romans de chevalerie au temps de l’amour courtois, dans une ambiance quasi féerique, avec une intrigue aux mille rebondissements et des personnages hauts en couleur, tout en nous immergeant dans une période sombre de l’histoire de l’Italie, suffisamment tumultueuse pour révéler les grandeurs et misères de l’âme humaine

Laissez-vous séduire par Où vivaient les gens heureux (nouvelle fenêtre) de Joyce Maynard, et selon moi, l’un de ses meilleurs romans qui raconte ici la vie d’une femme sur deux générations : au centre du roman, Eleanor, artiste un peu blessée par la vie et à la recherche du bonheur, mais aussi Cam, leur famille sans oublier une maison et un arbre, qui concentrent et symbolisent tout l’amour et le désamour quand il survient. Il s’agit aussi d’un focus sur l’histoire américaine des 50 dernières années et d’une très belle ode à la nature, avec ce regard si particulier de la romancière sur tout ce qui l’entoure.

N’hésitez pas à succomber à Repose-toi sur moi de Serge Joncour (nouvelle fenêtre) qui reçut le prix Interallié en 2016 : avec un sens du romanesque affirmé, ce roman décrit une réalité sociale contrastée, deux mondes qui cohabitent et souvent s’ignorent, celui des multinationales et de la finance, celui des petits boulots et de la débrouille, partition qui s’incarne dans la coexistence des habitants au sein d’un même pâté de maison autour d’une cour. Mais il s’agit surtout d’une aventure humaine intense, une histoire d’amour, de complicité et de difficultés.

L’autre grande affaire du livre, la principale sans doute, c’est l’amour. Un amour de conte de fée qui surgit comme un enchantement ou un maléfice dans ce monde morne et comptable. Voilà la «princesse» Aurore, qui se découvre émue, touchée, surprise par le brave et fort Ludovic. Celui-ci, que l’on voit bien en berger ou en vaillant chasseur, n’a-t-il pas, au péril de la loi, supprimé avec audace un couple de corbeaux malveillants qui régnait sur la cour intérieure de l’immeuble? Car, entre l’escalier A et le C, entre le palais et la chaumière, s’étend une sorte de forêt, un jardin aux arbres denses, où la magie et les sortilèges peuvent opérer (extrait de l’article « repose toi sur moi, un livre merveilleusement fiable » paru dans Le Temps en décembre 2013 – nouvelle fenêtre)

Faites-vous ravir par Le Gang des rêves de Luca Di Fulvio (nouvelle fenêtre) : comme tous les autres titres de cet auteur, voici une saga rythmée centrée ici sur le personnage de Christmas, un enfant d’émigrée italienne qui grandit dans les rues de New York entre gangs, violence , amitié et pauvreté. C’est l’histoire d’un incroyable amour d’enfance, de la rencontre d’autres milieux sociaux, d’une ascension sociale, de beaucoup de blessures et de souffrances, le tout dans l’époque des années 20 qui voit en parallèle de cet amour le développement de la radio et la naissance du cinéma parlant.

Vous ne pourrez pas résister à la tendresse poétique mais lucide de Les cerfs-volants de Romain Gary (nouvelle fenêtre), un autre amour d’enfance, profond, intense et exclusif. Ce magnifique roman qui rappelle le côté irrationnel et fantasmagorique du grand Meaulnes avec des petits échos fraternels de Clochemerle, déploie toute la poésie, la nostalgie et la tendresse de Romain Gary. Ce livre, qui fut son dernier roman publié, raconte l’histoire de Ludo, orphelin qui habite chez son oncle, le fou pacifiste du village qui crée des cerfs volants, et la rencontre de Ludo avec Lila. Comme dans Le gang des rêves, leurs milieux et leur éducation les séparent mais leur idéalisme les fait se rejoindre. Un classique qui, dans un monde de plus en plus complexe et inquiétant, ravira les rêveurs, les utopistes et les optimistes.

Laissez la passion (et la fièvre acheteuse !) vous envahir avec un autre grand classique Au bonheur des dames (nouvelle fenêtre) d’Emile Zola . Ce roman met en scène l’ascension sociale de Mouret, flamboyante et bruyante, ainsi que celle plus en demi-teinte de Denise : discrète petite provinciale « montée » à Paris; elle ravira le cœur du jeune et ambitieux entrepreneur, séduisant et séducteur, parti convoité et créateur du grand magasin Au bonheur des dames. Une histoire d’amour-passion et de cristallisation à la Stendhal extrêmement contemporaine, le tout dans un décor de développement du commerce à grande échelle, des débuts du capitalisme, de la production intensive, du marketing, de la publicité et des excès. On se souviendra que Zola s’inspira à l’époque de l’épopée du Bon marché pour poser le cadre de ce roman qui est autant celui de la croissance économique et commerciale que le récit de l’amour qui devient obsession.

Vous aurez les larmes aux yeux avec La salle de bal /Anna Hope (nouvelle fenêtre), un roman poignant qui part hélas d’une situation réelle : les asiles d’aliénés qui servirent à « parquer » la pauvreté (tant sociale que psychologique) en Grande Bretagne au début du XIXe, mais aussi les théories eugénistes qui gagnèrent toute l’Europe… Ici on suit le personnage d’Ella, une jeune fille enfermée sans espoir de sortie pour un infime acte de rébellion dans l’usine où elle travaillait depuis ses 8 ans. Seule, révoltée, elle finit par se résigner et lors du bal hebdomadaire orchestré comme traitement et expérience par le directeur de l’asile, elle rencontre John, un Irlandais taiseux, atteint de mélancolie. Leur amour sera leur bouée de sauvetage mais aussi ce qui les condamne aux yeux de l’institution. Un grand roman d’amour avec un final intense.

Pour terminer cette sélection éclectique et tout à fait subjective, laissez votre votre cœur battre la chamade au rythme de la Correspondance (1944-1959) d’Albert Camus avec la tragédienne Maria Casarès (nouvelle fenêtre) : cette correspondance entre l’écrivain et la tragédienne couvre une dizaine d’années et des centaines de pages. Tous les registres de l’amour y sont abordés, l’intensité, la lucidité, l’osmose, l’inquiétude et les confidences mais aussi plus largement l’Histoire, la vie quotidienne d’une époque de même que la vie théâtrale vue de l’intérieur et les questionnements d’un écrivain sur son travail…

Et maintenant, lirez-vous des romans d’amour ?

La saga du Jury du Prix des Lecteurs de Levallois 2024 : stratégies de lecture

22 Avr

C’est avec courage et motivation qu’ils ont bravé le froid et la pluie d’un soir de mars pour venir à la troisième réunion du jury ! Puis c’est avec enthousiasme et conviction qu’ils ont discuté pendant près de deux heures des livres de la soirée…

Pourtant lorsqu’il a fallu de se lancer pour parler du premier livre, « le plus éloigné dans le temps », le silence s’est fait. Aussi, la parole a été laissée aux absents qui n’ont pas toujours tort, puisqu’ils avaient pris le soin d’envoyer leur avis par écrit avant la réunion !

Et ça a commencé fort !

Un roman historique moyenâgeux avec du suspense, de l’Histoire et du mystérieux. Facile à lire avec des personnages attachants qu’on a envie de suivre. Un coup de cœur.

Un coup de cœur

L’expression reviendra plusieurs fois à propos de ce roman qui semble faire l’unanimité autour d’une intrigue « enlevée, bien construite, avec du suspense ». La construction en chapitres courts facilite la lecture, l’alternance entre deux temps est bien menée avec des flashbacks, « une sorte de voyage dans le temps » même si pour certains le fait de passer d’une époque à une autre a pu être une difficulté. Ainsi un juré a été gêné par l’apparition d’un dialogue très (trop ?) contemporain dans un roman du passé, mais un autre fait remarquer qu’il n’y a par la suite aucun anachronisme dans le vocabulaire.

« On apprend beaucoup » revient aussi souvent dans les différentes interventions : « foisonnant, intéressant, riche, le roman suit la réalité historique » (certains ont fait des recherches à ce sujet). « C’est un roman très savant mais qui n’étale pas sa science ». Car malgré la difficulté de certains passages, on « reste toujours dans le roman ». Même son de cloches avec ce « complexe mais qui s’enchaine bien » ou encore « dès les premières pages, j’ai tout de suite été dedans ; sans surprises pour autant mais on s’accroche et veut savoir la suite ! »
Si l’on s’accorde pour dire que le roman est très « bien documenté, par petites touches avec une belle recherche dans le détail », quelques bémols apparaissent à propos de certaines hypothèses historiques. De même, la complexité de certaines notions, des longueurs ou des envolées philosophiques ont pu être des freins à la lecture, mais compensés par des passages forts et une « histoire merveilleuse qui emmène à l’autre bout du monde faisant de ce livre un véritable roman d’aventure ».

Les thèmes intemporels abordés (les jeux de pouvoir, les rivalités, l’amitié) de même que les personnages bien campés, profonds, y compris les secondaires, ont contribué à faire de cette lecture un grand moment de plaisir pour beaucoup. « C’est un roman très classique, bien écrit, fin et intelligent », pour certains malgré tout un peu pesant sur les sujets plus philosophiques, mais le choix de l’auteur de « passer par le biais de la transmission de maitre à élève, à la manière de la philosophie antique », est globalement apprécié.

Le style plutôt classique a lui aussi été apprécié et certains jurés ont été particulièrement sensibles à de très belles descriptions de paysages, d’architectures, de villes et d’atmosphères, à tel point que « l’on sentait parfois la moiteur d’un jardin ». Et si la fin a pu décevoir un des jurés, le climax a coupé le souffle d’un autre…

Et pour un autre encore, la question du roman historique ne se pose pas.

On y est : un vrai de vrai !

Et voilà… Alors, après tous ces éloges, ce livre serait-il l’objet d’un consensus total ? Non, car des voix contraires s’élèvent alors. Pour l’une, lire ce roman a été un véritable pensum : car outre son peu d’intérêt pour cette période de l’Histoire, elle n’aime pas « ces constructions qui font passer d’une époque à une autre » et elle a dû chercher dans le dictionnaire plusieurs termes. Ce qui fait qu’elle a vraiment dû s’accrocher pour aller jusqu’à la fin ! Et heureusement pour cette jurée qui se sentait un peu seule face à la marée générale d’enthousiasme, une deuxième voix se fait entendre dans le même sens : « moi j’ai arrêté au milieu ! » Si celle qui vient de parler reconnait avoir appris plein de choses sur une période et un univers qu’elle ne connaissait pas, elle ne trouve pas normal d’avoir eu à chercher tant de choses dans le dictionnaire. « Un peu ça va mais là l’auteur m’a perdue ! » Et si le style, l’intrigue et le sujet ne l’ont déjà pas convaincue, elle se « porte aussi en faux sur le côté romanesque » : le fait de « passer par des dialogues pour découvrir les personnages » lui a paru long et pesant.

Cela manque d’émotions et il n’y a pas de gestion du suspense.

Ces voix d’opposition ouvrent alors un nouveau débat : peut-être que ce roman n’est pas facile à lire pour tout le monde ? Mais est-il vraiment compliqué ? Non affirment les uns tandis que les autres reconnaissent que ce serait un problème… En attendant, il est temps de passer au deuxième roman !

Un personnage ignoble

Autre roman, autre période, autre ambiance et autres questionnements… dont celui, central dans les débats qui vont suivre, d’avoir un personnage principal « antipathique voire odieux ».

On le comprend mais il est très énervant, ce qui prouve qu’il est bien campé.

Face à ceux qui ont eu du mal à s’attacher et suivre ce personnage si peu sympathique, une jurée fait la part des choses : « ce n’est pas grave, on peut trouver un roman super bien avec des gens détestables ». On s’accorde alors sur le fait que ce personnage si insupportable est très « bien fait, convaincant et documenté ».

Plusieurs jurés trouvent le point de vue choisi intéressant : « c’est un roman qui parle de l’intérieur de personnages qu’on dépeint comme épouvantables ». Jouant sur ce « décalage entre la position de l’auteur, la manière dont il traite le sujet sans condamnation explicite mais qui se sent entre les lignes », le livre fait naitre des sentiments ambivalents à la lecture : et notamment « un certain attrait à lire ces choses alors qu’en terme de fonctionnement [des personnages], on n’a pas vraiment d’attirance ».

Même si on trouve la démarche personnelle de l’auteur courageuse, plusieurs jurés sont déçus par le résultat. On hésite : est-ce une autobiographie, une autofiction, un livre catharsis ? Un roman historique ou un roman personnel ?

Mais est-ce historique en réalité ? Non, car « le côté biographie l’emporte », c’est même parfois « anecdotique » et pour certains cela va jusqu’à être gênant. Choquant, dérangeant, déroutant, oppressant sont des adjectifs qui vont revenir souvent dans la discussion. Quant à l’aspect temporel, « on flotte entre les époques ».

– Je m’attendais à apprendre sur l’histoire de cette période, explique une jurée, mais finalement, malgré une ambiance et un personnage ignoble bien décrits, je n’ai pas compris à quelle époque on est.

-Oui, on ne sent pas, c’est un sujet grave et cela n’est pas traité, ajoute un autre.

-Mais il faut lire entre les lignes ! rétorque un troisième.

L’aspect romanesque ne rassemble pas davantage car malgré « une chronologie qui marche bien avec des ellipses bien placées », il manque « quelque chose pour en faire un roman » : certains regrettent une incohérence car si « au début on comprend bien ce qui se passe la tête du personnage et que son cheminement est bien décrit, après, on n’a pas d’explications ».

Comme si l’auteur n’avait pas l’explication lui-même…

Ce qui donne à plusieurs jurés une sensation de projet non abouti ou non assumé : « le texte est bien mais il n’y a pas de fil ». Quant au style, il ne convainc pas davantage : « trop journalistique », « trop narratif », « classique et ennuyeux », « trop long, pas assez dense », « on tourne en rond »… De même l’humour, voire l’ironie, de certains passages ne semble pas adapté au propos. Sensibles au détail, certains jurés ont noté un usage immodéré de la parenthèse, qui en devient « pesante ». Malgré tout, on souligne des scènes intéressantes ou un personnage secondaire intriguant, que l’on aurait souhaité plus développé.

Vous l’aurez compris, des deux romans de ce soir, l’un a rassemblé, l’autre divisé…

Ainsi si certains ont repoussé la lecture de ce roman qui ne les attirait pas, d’autres l’ont au contraire gardé pour le dernier moment, comme pour mieux le déguster. L’ordre de lecture s’avère ainsi une véritable stratégie, faut-il commencer par celui qui nous attire, au risque de peiner dans le second ? Car après un bon livre, difficile de se plonger dans autre chose !

« Il m’a fallu garder un peu le premier avant d’entamer le second », sera la mot de la fin.

L’art du haïku

15 Avr

Un instantané d’émotion

Le haïku est un court poème japonais de trois vers et dix-sept syllabes (5-7-5), caractérisé par sa brièveté et sa simplicité.
À partir du VIIIe siècle, les poètes écrivent des rangas : poèmes collectifs constitués de tankas, eux-mêmes composés de deux versets (ou ku), le premier (appelé hokku), de 5-7-5 syllabes, et le second de 7-7 syllabes. Au XVIe siècle apparaît le haïkaï qui est le premier verset du tanka. Dès le XVIIe siècle, le plus petit poème du monde connaît un incroyable succès. Mais c’est beaucoup plus tard qu’on le nommera « haïku».

Les haïkus, tels des photographies, des clichés instantanés, capturent des moments de la vie quotidienne. Ils sont liés à la méditation et à la culture bouddhiste zen, car ils invitent le lecteur à profiter du moment présent et à observer la beauté dans chaque chose. Les paysages, la végétation, les insectes et les animaux sont des thèmes récurrents qui évoquent la connexion avec le monde naturel.

Le haïku, c’est l’art de s’émerveiller, contempler et décrire l’instant présent (extrait de l‘article « Quelles sont les règles du haïku ? » de Kevin Marques sur Temple du Haïku.fr , 4/10/2021 – nouvelle fenêtre)

Pour sensibiliser les enfants à la poésie

Le haïku est parfaitement indiqué pour les enfants, et pourquoi ne pas leur murmurer ou chuchoter quelques haïkus pour les endormir ? Voici une sélection d’ouvrages sur les haïkus disponibles dans votre Médiathèque.

Maxidodos (nouvelle fenêtre) et Poèmes pour bébés (nouvelle fenêtre) offrent aux parents des poèmes courts et musicaux pour apaiser bébé.
Dans Haïkus- Petits poèmes pour tous les jours (nouvelle fenêtre) et Sous la lune poussent les haïkus (nouvelle fenêtre), la beauté des illustrations célèbre celle des mots des poètes.
Et quand les haïkus rencontrent les contes traditionnels, les enfants s’initient aux premiers tout en replongeant dans les souvenirs des seconds. (Il était une fois … : Contes en haïku, Agnès Domergue -nouvelle fenêtre)

Quand les contes traditionnels rencontrent les haïkus, cela donne des contes revisités de façon poétique par Agnès Domergue et délicatement illustrées par Cécile Hudrisier. On retrouve l’essence même de chacun des contes dans ces haïkus mystérieux et enchanteurs et on prend plaisir à deviner le titre des contes qui se cachent derrière. Une lecture à partager avec les plus jeunes qui s’amuseront aussi à reconnaître les contes qui leur sont familiers (pour certains en tout cas). (avis de Gaëlle M. sur le site de La Médiathèque)

Voici une sélection d’anthologies de haïkus

Vous y trouverez les grands maîtres du haïku : Basho, Buson, Issa, Shiki, Ryôkan.

Le saule
peint le vent
Sans pinceau
(Saryu)

Ce monde souffre-
Même les herbes le disent
Qui se courbent au couchant
(Kobayashi Issa)

Dans l’eau que je puise
Scintille le début
Du printemps.
(Ringaî)

Sur le point de s’éveiller
D’un sommeil de printemps
Vite un autre rêve!
(Hiroshi Shimonura)

À présent, si nous écrivions nos propres haïkus ?

Si vous voulez vous lancer dans l’écriture de haïkus ou si vous voulez aider vos enfants à en créer, les ouvrages suivants vous donneront les premières clés nécessaires :

Des miettes de pain
Sèment des chants d’oiseaux
Dans le jardin.
(Françoise Naudin)

Voici d’autres clés pour nous initier à cet art ancestral :

Vieille mare
Une grenouille chante
Bruit de l’eau.
(Bashô)

Nuit noire-
Dans le faisceau des phares
Le chant des cigales.
(Henri Chevignard)

Philosopher en BD !

8 Avr

Les vacances d’avril sont déjà là et et après elles, se profile la fin d’année avec l’épreuve du baccalauréat pour les lycéens ! Avant de se plonger dans les révisions et les annales, futurs (et anciens) bacheliers mais aussi tous les curieux de philosophie pourront apprendre en s’amusant grâce à ces bandes dessinées documentaires consacrées à la discipline. Histoire de la philosophie, thématiques ou biographies, il y en a pour tous les goûts !

Des histoires de la philo pas comme les autres

Les plus grands philosophes de l’humanité réunis en un seul ouvrage ? C’est le pari fou de cette encyclopédie : rendre vivants les personnages et les concepts qui ont bouleversé notre perception de l’existence ! Pénétrez avec légèreté dans l’existentialisme, le taoïsme, la mystique chrétienne ou le postmodernisme… Baby-sitting avec Foucault, football avec Freud, jardinage avec Voltaire… Découvrez toute la variété de la pensée humaine, mise en scène avec l’humour mordant de Jul et la malice de Charles Pépin. 3 000 ans de pensée mondiale rendus accessibles à tous : en refermant ce livre, vous ne verrez plus jamais le monde de la même façon ! (présentation de l’éditeur)

Camus, Lucrèce, Lacan, ou Jésus, absents de la première Planète des Sages ? Ce nouveau volet entièrement inédit complète le voyage auprès des plus grands penseurs de l’humanité ! De Socrate et son « dîner presque parfait » à Gandhi qui distribue des claques, d’Adam Smith dans le métro à Beauvoir écrasée par Sartre, c’est 3 000 ans de pensée mondiale qui se déroulent sous la plume affutée de Jul et Charles Pépin. À leurs côtés, nous avons cette fois-ci fait entrer dans ce panthéon les auteurs vivants les plus marquants de notre temps. « Théorie du genre » avec Judith Butler, « conscience animale » avec Peter Singer, révolution numérique avec Michel Serres, ou politique avec « les Bronzés qui font du Chomsky » : voici les clés pour entrer dans les grands débats contemporains. (Présentation de l’éditeur)

Suite de cette histoire de la philosophie en BD avec 45 nouveaux philosophes qui :

nous invitent à penser par nous-même Sénèque, Machiavel, Pascal, Leibniz, Hegel, Tocqueville, Freud , Heidegger, Bergson, Popper, Simone Weil, Deleuze, Derrida, Gandhi, Foucault, Judith Butler… et beaucoup d’autres ! 45 philosophes, hommes et femmes, de l’Antiquité à aujourd’hui nous invitent à nous interroger sur notre place dans le monde, notre rôle, notre liberté de penser et d’agir.
Une plongée vivante et pleine d’humour à leurs côtés pour comprendre leurs questions, leurs réponses et comprendre comment chacune de ces pensées peut encore nous parler aujourd’hui. Un livre pour découvrir en quoi la philosophie peut nous éclairer sur la façon de conduire notre vie, nous permettre d’acquérir un esprit critique et de fournir des outils pour se construire une sagesse personnelle ! Une autre façon de parler de philo aux enfants, plus incarnée, à travers des histoires personnelles, des anecdotes, de l’humour ! (Présentation éditeur)

Qu’est ce que le bonheur et comment le trouver ? Penser rend-il heureux ? Vastes questions… Issus de cette collection qui arpente la connaissance via la bande dessinée, ces trois tomes de Philocomix explorent la philosophie et la question du bonheur. Non sans humour, les auteurs de cette série se plongent dans les écrits des grands philosophes, de l’antiquité à nos jours, pour d’abord définir, évaluer et délimiter le bonheur : comment Descartes, Platon, Marx ou encore Adam Smith ont-ils répondu à cette épineuse question ? Chaque nouveau tome propose une approche différente : via l’accomplissement personnel, la vie en société pour le second et le travail pour le troisième.

De manière didactique et ludique, chaque philosophe est présenté sous la forme d’une brève fiche d’identité en 3 points : contexte temporel et culturel, œuvres majeures et point de vue sur la thématique du volume. Quelques pages de planches développent ensuite ses théories et arguments quant à la meilleure voie d’accès au bonheur. Un petit bonus, guide pratique, quizz ou méthode d’application dans le quotidien, termine chaque chapitre.

Espérons que cette série aussi intelligente qu’amusante nous propose vite d’autres volumes, véritables petits pas sur le chemin du bonheur !

Zabus et Nicoby réinventent en une bande dessinée pleine d’humour le roman philosophique de Jostein Gaarder, ouvrage culte de vulgarisation qui aborde les moments clés de l’histoire de la philosophie européenne. La BD reprend la construction du roman, basée sur une double temporalité : celle de l’Histoire de la philosophie, et celle du voyage initiatique de Sophie. On peut ainsi suivre l’évolution du personnage au fil des pages, au gré de ses différentes rencontres et expériences.

Bande-annonce des Éditions Albin Michel

Tout au long des 264 pages qui constituent le premier volet d’un diptyque, Vincent Zabus et Nicoby mettent en scène avec humour et poésie une Sophie version 2022, jeune fille engagée réfléchissant sur les problématiques actuelles. Ils ne trahissent en rien le récit originel mais au contraire, grâce à leurs trouvailles visuelles rendent la compréhension des concepts philosophiques encore plus accessible aux lecteurs d’aujourd’hui. Une très belle réussite ! (extrait de la critique à lire en intégralité sur Bulles2dupont.fr -nouvelle fenêtre)

Un ouvrage qui n’est ni un livre sur le féminisme en philosophie ni sur le genre, mais qui se revendique féministe par le fait de mettre en lumière la place des femmes en philosophie. Du VIe siècle avant JC à la fin du XXe, de de Cléobuline à Nathalie Sarraute, la liberté de penser est à l’honneur !

Les autrices et auteurs de Libres de penser reviennent sur 10 personnalités féminines auxquelles l’Histoire n’a, pour la plupart, pas rendu hommage malgré leur avance évidente sur leur temps. Sei Shonagon et ses innovations littéraires, Christine de Pizan et sa recherche de sagesse par l’érudition, ou encore Simone de Beauvoir et ses réflexions novatrices sur l’égalité des sexes : 10 femmes innovantes dont les modes de pensée ont traversé les âges et les frontières. (Présentation de l’éditeur)

Des BD non-documentaires qui abordent avec humour de grandes questions philosophiques

Ce roman graphique publié en 2009, lauréat du grand prix de la critique de l’ACBD (Association des Critiques et des journalistes de Bande Dessinée) en 2010, a parfois été taxé de critique sociale un peu caricaturale. On vous laisse juges !

[…] Un beau jour, Dieu « descend » sur terre, au sens propre. Les causes de cette personnification divine soudaine demeurent obscures tout au long de l’album (hormis dans l’épilogue, finaud) : Mathieu se concentre essentiellement sur les conséquences. Piqué au vif par cette problématique hors du commun, le lecteur se repait alors d’un florilège d’approches philosophiques et métaphysiques toutes plus pertinentes les unes que les autres. En effet, si le contexte de base parait élémentaire, son approche est évidemment beaucoup plus ardue : comment faire le tour de Dieu, sans rien omettre ? (extrait de la critique de Benoit Cassel sur Planète BD en 2009 – nouvelle fenêtre)

Depuis septembre 2017, Philosophie Magazine publie chaque mois deux pages de Catherine Meurisse. Cent pages de dialogues, de citations et de mises en scènes burlesques qui sondent et ébranlent les règles et les codes de la pensée philosophique universelle et l’image du corps. Socrate, Montaigne, Voltaire, Rousseau, Simone de Beauvoir, Barthes, Tocqueville, Simone Weil, Cioran, Deleuze… Ils sont tous là. Pour appréhender ces philosophes, Catherine propose de suivre les échanges incongrus entre certains d’entre eux et une jeune femme moderne, bien décidée à les déstabiliser, mais aussi des tableaux plus classiques de sujets incontournables. La légèreté et le rire seront la clé pour réussir l’exercice. (Présentation de l’éditeur)

Les aventures et commentaires du chien d’Héraclès sur la vie, la mort, le sens et le comportement de son maître sont prétexte à cette série humoristique, où l’on « s’amuse à réfléchir ». Certains ont trouvé cette série trop légère, d’autres se régalent des facéties philosophiques du demi chien du demi Dieu ;-), il s’agit ici davantage d’une récréation philosophique !

Sous couvert d’offrir aux lecteurs un péplum épique, cette nouvelle série est une tentative de faire de la philosophie en bandes dessinées. Les aphorismes du chien oscillent entre brèves de comptoir et dialectique platonicienne, tandis que son maître tente de séduire toutes les belles qu’il croise et se bagarre avec tous les monstres qu’il rencontre. Le chien est désabusé, rendons à César ce qui lui appartient, il est même cynique parfois, mais cynique grec, hein, ça veut dire que tout l’album est baigné de soleil méditerranéen et d’oliviers offrant de l’ombre à de jolies filles (extrait de la présentation de la série au festival des Étonnants voyageurs – nouvelle fenêtre)

Bien d’autres trésors de bandes dessinées documentaires (en histoire, économie, sciences ou encore littérature) vous attendent à La Médiathèque (nouvelle fenêtre) : bonnes lectures philosophiques à tous et bonnes vacances aux lycéens avant que la composition de philosophie qui ouvrira le bal des épreuves le 18 juin 2024. Souhaitons que cette date symbolique porte chance à tous les candidats sur le chemin de l’amour de la sagesse !

Image en tête de cet article : Représentation de la sagesse (1635) : « Sapiens Dominabitur Astris ». (Traduction libre du texte : « Qui acquiert la sagesse sera maître des astres. » ) Par George Wither. A Collection of Emblemes Anciente and Moderne, London (1635), Domaine public, wikipedia (nouvelle fenêtre)